
Ce raisonnement s'appuie sur le fait que Christ « Christos », est une traduction en grec d’un terme hébreu « Meshiah » qui a donné en français Messie. Mais Josèphe s'adresse en grec, aux élites de l'empire romain. La question qui se pose est donc de savoir comment ce terme de Christ pouvait être compris à la fin du premier siècle. Or, pour ces élites, le terme christ désigne une personne consacrée par une onction divine, l'oint ou l'envoyé, et n’a pas la signification messianique de fils de Dieu, de prophète et de roi que les juifs lui donnaient.
Les quelques textes de cette époque qui nous sont parvenus sont très instructifs. Le plus souvent le terme "Christ" est utilisé comme un nom propre, sans article. Et quelque fois avec un article "Le christ" donc "l'envoyé, l'élu, l'oint".
- Tacite fait mention du Christ, au sujet de l'incendie de Rome en 64, et de l'empereur Néron en 64 accusant les chrétiens d’être à l’origine de l’incendie de Rome. Tacite, dans ces annales, écrit « Pour apaiser ces rumeurs, il (Néron) offrit d'autres coupables,…, et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate ».Tacite ne mentionne pas le nom de Jésus. Texte complet en milieu de page (Chapitre XLIV) --> ICI
- Mais Tacite n'est pas seul à citer le Christ. C'est aussi le cas chez Suétone qui écrit (au sujet de l'empereur Claude) : « Il expulsa de Rome les Juifs faisant constamment des troubles à l'instigation de Chrestus ».
- Il y a enfin cette lettre de Pline le jeune adressée à Trajan, datée de 110 : (Voir texte plus complet ICI)
Aucun de ces textes ne citent le nom de Jésus. En revanche tous indiquent que c’est une personne appelée « Christ ou le Christ » qui est à l’origine d’une nouvelle religion dont les adeptes sont appelés chrétiens.
L'utilisation du terme Christ pour désigner Jésus est attestée dès le milieu du premier siècle. Matthieu dans son évangile fait dire à Pilate : « Qui voulez-vous que je vous relâche : Barabbas ou Jésus, appelé le Christ ? » (Matthieu 27, 17). Et toujours en Matthieu (1,16) « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ ». Les Actes des apôtres, rédigé dans la deuxième moitié du premier siècle, indique « ce fut premièrement à Antioche que les disciples furent nommés Chrétiens (Actes 11 Chapitre 26) ».
Et Flavius Josèphe lui même utilise le terme Christ pour désigner Jésus dans le livre XX des Antiquités. Dans ce livre, au chapitre 9, (voir ICI) Flavius Josèphe précise au sujet de Jacques, premier évêque de Jérusalem, qu’il est le frère de Jésus appelé le Christ. " Il (Le grand prêtre Anan) réunit un sanhédrin, traduisit devant lui Jacques, frère de Jésus appelé le Christ". La précision « frère de Jésus appelé le Christ » est destinée à aider le lecteur à comprendre de quel Jésus il s’agit, puisqu’il y a plusieurs Jésus mentionnés dans le livre XX. Mais cette précision montre bien que, pour Josèphe, chacun sait qui est le Christ et qu'il n'est pas utile de donner plus de précision. Elle montre aussi que le terme Christ est utilisé comme désignant une personne et non comme étant le Messie ! Ce que nous expliquions plus haut.
Naturellement, certains partisans de l'interpolation complète considère que cette précision n'est pas de Josèphe.
Donc, Josèphe, pour être compris de ses lecteurs qui ne connaissaient pas le nom de Jésus (Yeshoua en Hébreux, un prénom inconnu des romains) se devait de préciser qu’il s’agit de l’homme que certains connaissent sous le nom de Christ. Le « Christ » du Testimonium de Josèphe n'est pas le Messie attendu par les juifs, le libérateur et le roi d’Israël, mais seulement le nom par lequel Jésus est connu dans le monde romain. Ainsi, affirmer que cette phrase ne peut en aucun cas être de Josèphe n’est pas recevable. Un auteur de la fin du premier siècle se devait de préciser que Jésus est celui que l'on appelle le Christ.
Cependant, pourquoi Josèphe n’a-t-il pas écrit « Le Christ c’était son nom » ou bien "On l'appelait le Christ". Il peut y avoir plusieurs explications à cela, mais considérant les autres nombreuses formulations approximatives de Josèphe, l'authenticité de ce passage est très probable. Une autre explication reste possible : un ajout par Josèphe lui même ou par un de ses proches afin d’apporter un éclaircissement, après avoir pris conscience d'un oubli. Un exemple caractéristique de correction de texte est visible dans la lettre de Saint Paul aux éphésiens. (Informations données sur ce site : ICI)
D'autres arguments qui indiquent que Josèphe peut être l'auteur de cette phrase
A la fin du Testimonium il est dit « et le groupe appelé d'après lui celui des Chrétiens n'a pas encore disparu ». Si « c’était le Christ » manque, le lecteur va naturellement s’interroger : Pourquoi est il écrit « ... appelé d'après lui celui des chrétiens ..... » ? Pourquoi les disciples de Jésus sont appelés chrétiens ?.
Les tenants de l'interpolation partielle, confronté à cet argument, considère que cette phrase a été modifiée.
Et quand Josèphe précise dans le livre XX des antiquités que Jacques est le frère de Jésus appelé le Christ, il est logique de penser que Josèphe a mentionné le Christ auparavant.

Un
autre argument invoqué pour contester l'authenticité du
Testimonium est que jamais Josèphe n’aurait jamais fait l’éloge
de quelqu’un qui se présentait comme un messie libérateur
d’Israël. Cet argument suppose donc que Josèphe voyait dans
Jésus le Messie libérateur d'Israël, ce qui n'est pas le cas :
le Testimonium n'indique pas une prétention de Jésus à être le
libérateur d'Israël. L’opposition de Josèphe concerne le
nationalisme exacerbé des zélotes qui attendaient un messie qui
serait un nouveau David qui mettrait à bas la domination
romaine. Or, Jésus n’a suscité aucune révolte contre les
romains. Flavius Josèphe évoque aussi longuement la personne de
Jean-Baptiste sans aucune critique, alors que certains ont pensé
qu’il pouvait être le Messie.
Dans les Antiquités Judaïques, il n'est à aucun moment fait
mention explicitement du Messie. En revanche, cette attente du
Messie est évoquée au livre VI des guerres juives : " Mais ce qui les
avait surtout excités à la guerre, c'était une prophétie
ambiguë trouvée pareillement dans les Saintes Écritures,
et annonçant qu'en ce temps-là un homme de leur pays
deviendrait le maître de l'univers. Les Juifs prirent
cette prédiction pour eux, et beaucoup de leurs sages se
trompèrent dans leur interprétation ; car l'oracle
annonçait en réalité l'empire de Vespasien, proclamé
pendant son séjour en Judée. " Guerre Juives
Livre VI.5.4 : voir ICI.
De la part d'un homme qui se dit pharisien, donc un religieux
profondément attaché à connaitre les écritures, il y a dans
cette réflexion personnelle de Josèphe quelque chose de vraiment
étrange. Considérer Vespasien comme celui qui accomplit
l'annonce prophétique du Messie, alors qu'il est celui par qui
le temple a été détruit, est surprenant. L'on a peine a croire
que Josèphe ait pu souscrire à une telle idée. Mais il y a une
explication : Josèphe est avant tout un homme politique
désireux de plaire à ses maitres, les flaviens, et de donner
raison à sa propre interprétation et à sa conduite.
« Si toutefois il faut l’appeler un homme »
Cette phrase laisse penser que Jésus serait Dieu, ou éventuellement un ange (les anges étaient très importants chez les pharisiens). Il ne faut cependant pas oublier le début de la phrase "dans le même temps vint Jésus homme sage", une formulation qu'on ne retrouve dans un aucun évangile.
De fait, l'auteur de cette phrase Josèphe pose ici une question. Il ne dit pas qui la pose. On ne peut exclure que ce soit une question qu’il se pose, qu’il s’est posé un jour, ou encore qu’elle se soit posée pour certains du temps de Jésus. Chacune de ces interprétations est possible. En déduire qu'un juif du premier siècle ne peut être l’auteur de cette phrase est aller un peu vite.
« Car il était un faiseur de miracle et le maitre des hommes qui reçoivent avec joie la vérité »
- "Une vache amenée par quelqu'un pour le sacrifice mit bas un agneau dans la cour du Temple",
- "On vit donc dans tout le pays, avant le coucher du soleil, des chars et des bataillons armés répandus dans les airs, s'élançant à travers les nuages et entourant les villes"
- "Des prêtres entrés la nuit dans le Temple intérieur pour le service du culte, dirent qu'ils avaient perçu une secousse et du bruit, et entendu ensuite ces mots comme proférés par plusieurs voix :« Nous partons d'ici. »".
Voilà une autre phrase qui peut surprendre de la part d'un Juif du premier siècle au sujet de Jésus. Mais, en réalité, elle n'est pas du tout incompatible avec ce qu'un juif du premier siècle pouvait penser et de ce que pouvait penser Josèphe lui-même.
Il faut savoir que le retour des morts pour le milieu juif était souvent évoqué. Le prophète Élie, parti dans un char de feu, devait revenir un jour. Mais surtout les Pharisiens croyaient à la résurrection ce qui n’était pas le cas des Sadducéens. Josèphe écrit lui-même (voir ICI) au chapitre I du livre XVIII au sujet des pharisiens : « Ils croient à l'immortalité de l'âme et à des récompenses et des peines décernées sous terre à ceux qui, pendant leur vie, ont pratiqué la vertu ou le vice, ces derniers étant voués à une prison éternelle pendant que les premiers ont la faculté de ressusciter ». (Traduction de Théodore Reinach & Julien Weill).
On notera la cohérence entre l'introduction du Testimonium qui présente Jésus comme un homme de bien d'une part, et, d'autre part, cette phrase de Josèphe sur la résurrection qui indique que ceux qui ressuscitent sont ceux qui ont "pratiqué la vertu".
- « Vers le même temps vint Jésus, homme sage,.." Dire de Jésus qu'il est "un homme sage" est une formulation que l'on ne retrouve dans aucun texte chrétien des débuts et affirmer que Jésus est un homme même si la suite (si toutefois on peut l'appeler un homme) ouvre une porte sur autre perspective mais seulement sous une forme interrogative. Ceci étant, il est par ailleurs évident qu'affirmer au 1er ou au 2ème siècle que Jésus serait Dieu dans un écrit public est impossible.
- « Et il attira à lui beaucoup de Juifs et beaucoup de Grecs ». Dire que des juifs et des grecs se sont faits les disciples de Jésus montre une situation qui est celle qu'a connue Josèphe quand il était à Jérusalem dans les année 60. Après la destruction du temple en 70, les juifs disciples de Jésus sont de moins en moins nombreux et les chrétiens non juifs (païens, grecs) sont majoritaires. Et quand Josèphe écrit les Antiquités, il est installé à Rome depuis plus de vingt ans, loin de Jérusalem et rien n'indique qu'il ait des relations avec des chrétiens, ni avec des juifs, sur place.
- «Et lorsque sur la dénonciation de nos premiers citoyens, Pilate l'eut condamné à la crucifixion ». Mentionner nos premiers citoyens (= les grands prêtres, des sadducéens) comme dénonciateurs et Pilate comme responsable de la condamnation de Jésus est tout à fait compatible de ce que pouvait penser Josèphe. Un chrétien aurait-il parlé de "Nos premiers citoyens" ?
- «Ceux qui l'avaient d'abord chéri ne cessèrent pas de le faire ». L'entêtement des chrétiens est un reproche que l'on trouve aussi chez Pline et chez d'autres auteurs latins plus tardifs. Mais ici, ce n'est pas un reproche, le texte justifie cet entêtement par la résurrection de Jésus. Il est difficile d'utiliser cette phrase pour justifier ou à l'inverse dénoncer l'authenticité du Testimonium.
- « Et
le groupe appelé d'après lui celui des Chrétiens n'a pas
encore disparu ». Cette phrase peut être comprise de
différentes manières. (1) Plus probablement (et pessimiste)
: Il existe toujours des Chrétiens mais ils vont
disparaitre. (2) Moins probablement (et optimiste) : Les
chrétiens sont toujours présents malgré la mort du Christ.
Cette phrase est bien celle d'un non chrétien de la fin du
premier siècle alors que les chrétiens sont encore peu
nombreux. Une telle phrase ne peut être écrite par un
chrétien de la fin du premier siècle : les chrétiens sont
certes peu nombreux mais en forte croissance.

Or,
les interrogations rapportées par Josèphe sont bien celles
qui se sont posées lorsque Jésus a été condamné. Lors de son
jugement, le grand-prêtre demande à Jésus «
Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si c’est
toi qui es le Christ, le Fils de Dieu. »
(Matthieu 26,63 : Notez encore que dans cette phrase
rapportée par Matthieu le grand prêtre dit : le Christ,
le fils de Dieu. Le terme Christ seul pouvait laisser
place à des interprétations variées). Cette question s’est
donc posée à l’époque de Jésus. Josèphe, qui se veut
historien et témoin objectif de l’histoire du peuple juif,
se fait l’écho de ces interrogations, tout en concluant par
une appréciation personnelle qui répond négativement à cette
question : les disciples de Jésus existaient encore mais
allaient disparaître.

Frère de Jésus
Au livre XX des «
Antiquités », chapitre IX déjà cité plus haut, Josèphe écrit
au sujet de la lapidation de Jacques, premier évêque de
Jérusalem, chef de file de la mouvance judéo-chrétienne
: «
Comme Anan (le grand prêtre,
sadducéen) était tel et qu'il croyait avoir une
occasion favorable parce que Festus était mort et Albinus
encore en route, il réunit un sanhédrin, traduisit devant
lui Jacques, frère de Jésus appelé le Christ, et certains
autres, en les accusant d'avoir transgressé la loi, et il
les fit lapider. Mais tous ceux des habitants de la ville
qui étaient les plus modérés et les plus attachés à la loi
en furent irrités et ils envoyèrent demander secrètement
au roi d'enjoindre à Anan de
ne plus agir ainsi, car déjà auparavant il s'était conduit
injustement.».
(Traduction de
Théodore Reinach & Julien Weill) (Antiquité Livre XX.9)
Cet évènement s’est produit en l’an 62. Josèphe a alors 25 ans et il est probablement à Jérusalem. Josèphe considère donc que cette lapidation d’un chrétien décidée par le grand-prêtre Anan est une injustice et précise que ce sont des modérés, attachés à la loi - comme Josèphe se décrit lui-même - probablement des pharisiens, qui se sont irrités contre ce meurtre faisant ainsi cause commune avec des chrétiens et leurs sympathisants. Aucune appréciation négative n’est mentionnée sur Jacques, chef de file des chrétiens de Jérusalem, présenté comme un ami de gens raisonnables et vertueux, injustement et illégalement condamné. Si Josèphe avait été radicalement hostile aux chrétiens, une présentation plus critique de Jacques, frère du Christ, aurait été plus logique.
Un des arguments principaux qui prouverait que ce texte est trafiqué est que Josèphe le pharisien ne pouvait que s'opposer aux chrétiens et au Christ, qu'il soit considéré comme Messie ou simple homme de bien. Mais cette vision est une vision faussée des rapports entre Juifs et Chrétiens au premier siècle et surtout entre chrétiens et pharisiens. Si les évangiles et les actes des apôtres soulignent les multiples conflits entre les pharisiens et le Christ ou ses disciples, à y regarder de plus près, en filigrane, apparaissent de nombreux points de convergence. Un des exemples de convergence entre chrétiens et pharisiens est donnée dans la fin des actes des apôtres quand Luc rapporte que des pharisiens défendent Paul contre les saduccéens lors de son procès en 58. (Actes 23- ICI).
De plus, au sein de la communauté juive de Jérusalem, celle qu'a connue le mieux Josèphe, la situation est bien différente. A Jérusalem, les chrétiens sont des juifs, des judéo-chrétiens, qui restent fidèles aux prescriptions majeures de la Torah, et qui vont régulièrement prier dans le temple. Ce sont d'ailleurs, dans les actes de apôtres, ces judéo-chrétiens qui conseillent Paul pour qu'il puisse se rendre au temple en 58.
Hégésippe, cité par Eusèbe de Césarée dans son Histoire Ecclésiastique, montre Jacques, frère du Seigneur, priant continuellement dans le temple et donne comme raison à la lapidation de Jacques : "Beaucoup donc, et même des chefs, croyaient. Il en résulta un grand émoi parmi les Juifs, les scribes et les pharisiens : « Il y a danger, disaient-ils, que la masse de la nation ne place son attente en Jésus le Christ. »" (Histoire Ecclésiastique Livre 2-Ch23, ICI). Cette formulation, certainement exagérée quant au nombre de juifs adeptes ou sympathisants de Jésus, montre cependant des chrétiens participants à la vie du temple et ayant des liens avec les différents courants juifs.
De fait, ces judéo-chrétiens étaient considérés comme des juifs déviants mais longtemps tolérés puis peu à peu rejetés à partir de 62 et plus radicalement encore après la destruction du temple. Le testimonium précise "Il attira à lui beaucoup de Juifs et beaucoup de Grecs", ce qui va dans le même sens.
Les Judéo-chrétiens ont fait l'objet depuis quelques temps d'études approfondies notamment de Simon-Claude Mimouni et de Dan Jaffé.
Pour conclure
Considérer que le Testimonium tel que nous le connaissons est un texte trafiqué, au motif que jamais Josèphe n’aurait pu écrire un tel texte, est une conclusion hâtive. Une analyse objective des écrits de Josèphe en se resituant dans le contexte de l’époque montre au contraire que Josèphe a pu écrire les phrases controversées.