
Incohérences du Chapitre 3 du livre 18 :
C'est un philologue allemand, Eduard Norden, protestant d'origine juive, qui sera le premier à développer dans un article paru en 1913 les arguments qui démontreraient que le Testimonium est un faux. L'analyse de Norden est basée sur la terminologie utilisée dans le Testimonium et des incohérences entre les différents paragraphes du chapitre 3 du livre XVIII.
L’argument
principal de Norden est que le § 4 (ICI),
commence par « Vers le même temps un autre trouble grave agita les Juifs et
il se passa à Rome, au sujet du temple d’Isis » alors que le §3 (le
Testimonium) n’est pas un trouble grave comparé aux deux
paragraphes (§1 et 2) qui précèdent le Testimonium (§3). Donc le
§3 est un ajout.
Une vraie incohérence mais une conclusion hâtive
Mais cet argument ne résiste pas à une analyse même rapide. En effet, le §4 relate la mésaventure d’une dame de la haute société romaine, une romaine nommée Paulina, qui se donne à un soupirant éconduit en croyant s’unir au Dieu Anubis. Or, Josèphe introduit ce §4 en disant qu'il s'agit d'un trouble grave pour les juifs.
De fait, l'introduction du §4 citée plus haut (« vers le même temps … ») est parfaitement incohérente : Il y a une contradiction complète entre un trouble grave qui ne fait qu’agiter des juifs … qui ne sont nullement concernés. Ceci illustre la difficulté d’interpréter les écrits de Flavius Josèphe et ce n’est qu’un exemple. S'appuyer sur cette phrase pour tirer des conclusions est illusoire. On pourrait plus valablement conclure de cette incohérence que c’est ce § 4 qui est une interpolation !
Ce chapitre 3 est un chapitre "fourre tout" qui regroupe 4 évènements qui n'ont que peu de relations les uns aux autres. Il n'y aucune raison valable de soupçonner l'un ou l'autre de ces paragraphes d'être interpolé.
D’autres incohérences ?
Dans l’analyse des arguments donnés par Wikipédia il est dit : « dans le livre XX Flavius Josèphe nomme les personnages, suivant la coutume juive de l'époque, "fils de" et, quand c'est nécessaire au récit, "frère de". Un Jésus-Christ orphelin et sans parenté amène à penser à une insertion postérieure à l'auteur ».
Cet argument ne tient pas non plus : Au livre XVII des antiquités, Josèphe mentionne « Simon, ancien esclave » « un certain Athrongès… » ; au livre XVIII « Judas, le galiléen » « Jean surnommé Baptiste, … » ; au livre XX « un magicien nommé Theudas, …. ». Tous ces hommes ne sont ni fils, ni frère de personne !

Notons tout d’abord qu’il est très difficile, pour ceux qui n’ont pas de connaissances du grec ancien, de vérifier les arguments présentés. Il faut être spécialiste du grec ou faire confiance à ces spécialistes. Mais comment leur faire confiance ? Ces érudits de s'accordent sur rien. Les expert du grec ancien tenant de l'interpolation partielle sont en complet désaccord avec ce que disent les tenants de l'interpolation totale pour lesquels le Testimonium reçu est un faux sur la base d'arguments linguistiques. Et même entre elles, ces études linguistiques qui prouveraient une interpolation totale ne convergent pas. Chacun y va de ses propres arguments. Quand Norden met en avant l’utilisation du mot « Trouble », un autre développera une argumentation radicalement différente.
Et le comble est que, sans être spécialiste du grec ancien, il est évident que certaines de ces études linguistiques sont orientées à une seul fin : prouver que le Testimonium est un faux. Dernièrement, en 2014, un philologue britannique nommé Paul J. Hopper a publié un document qui conclut qu’il y a des anomalies dans les temps utilisés (aoriste et participe passé) et pense y reconnaitre des formes datant du 3ème siècle. Ce document est présenté sur le Web comme une des dernières découvertes qui démontrerait que le Testimonium est un faux. Etonnamment, ceci avait échappé à tous les philologues qui s'étaient auparavant intéressés à ce sujet !
Mais ce qui est symptomatique dans le travail de ce docteur, professeur de linguistique à l'université Carnegie Mellon en 2014, est qu'il traduit « ὁ χριστὸς οὗτος ἦν » (Le christ celui-ci était) par : « The Messiah he was » (Voir ICI page 150). Remplacer le mot Christ par Messie est plus qu'une erreur pour quelqu'un qui se présente comme un expert du grec et dénote un parti-pris voire pire, une volonté de tromper. Certes, il est possible d'argumenter qu'il n'y a pas d'équivalent grec au terme Messie (Messiah en hébreux / araméen), et que, partant, c'est le seul terme que Josèphe pouvait utiliser en grec pour désigner le Messie. Mais par honneté intellectuelle il faudrait laisser le terme Christ et expliquer ensuite ce raisonnement. Par ailleurs sur un cas similaire (cité supra) Josèphe utilise le terme "libérateur d'Israël" pour parler du Messie. Josèphe pouvait donc trouver des termes pour traduire le mot Messie.
Il ne faut pas croire que Paul J. Hopper soit un cas isolé. D'autres partisans d'un faux ont aussi traduit le Christ par Messie : Serge Bardet mentionne Paul-Louis Couchoud (1879-1959), Robert Eisler (1872-1949), Charles Guignebert (1867-1939). Certes, il sont très minoritaires. Mais ce ne sont pas des ignorants loin de là. Ce sont des historiens, des docteurs, des philologues.
Par
ailleurs, on trouve sur internet (ICI) un article très
intéressant de la revue belge de Philologie et
d'Histoire, daté de 1941 et rédigé par un jésuite, Charles
Martin, avec comme titre : « Le
Testimonium Flavianum, vers une solution définitive
? ». L’auteur de
cet article est un spécialiste du grec ancien, qui contredit
l’analyse de Norden et qui conclut« Ou bien le Testimonium est l’œuvre d’un faussaire d’une habileté consommée
dans la technique de composition et de l’imitation, ou
bien il n’y a eu que remaniement ou interpolation
partielle ». Il explique ensuite que le
Testimonium est bien de Flavius Josèphe, en excluant quelques
phrases : ce Jésuite défend l’interpolation partielle.
Qui croire dans ces conditions ? Notons aussi, comme on
le voit pour Charles Martin, que les tenants d’une
interpolation partielle rejettent ces arguments linguistiques
qui sont exclusivement utilisés par les partisans d'une
interpolation totale.
Mais il est une autre difficulté sur laquelle les philologues
ne s'étendent pas : Flavius Josèphe a appris le grec très
tardivement et pensait en Araméen. Théodore Reinach indique : « Une traduction
complète de Josèphe est une œuvre difficile et de longue
haleine. L'auteur, qui apprit le grec tard et assez
imparfaitement, écrit d'un style pénible ; sa phrase,
longue et lourde, chargée d'incises, de redites,
d'ornements vulgaires, souvent peu claire et mal
construite, n'est pas toujours aisée à comprendre et est
toujours malaisée à rendre » Voir ICI (en fin de la page) (*
Nota). Ce que confirme Josèphe lui même quand il
écrit : il
me vint des hésitations et de la paresse à traduire un
si grand sujet dans une langue étrangère dont les
habitudes ne nous sont pas familières. »
Donc, non seulement la langue
de Josèphe est imparfaite mais le texte est parfois confus
comme nous l'avons vu plus haut sur un exemple. Dès lors,
une analyse exclusivement bâtie sur l'utilisation d'un
terme ou sur des incohérences de formulation doit être
considérée avec beaucoup de prudence.
(*)
Cette observation de Théodore Reinach doit cependant
être relativisé. Certains linguistes soulignent la
qualité rédactionnelle des Guerres Juives et nomme
Flavius Josèphe : "Le Tite Live juif". Cependant,
Josèphe indique avoir été aidé dans la rédaction des
Guerres Juives.
Les études linguistiques ne permettent pas de dire qu'il y a une falsification ou des interpolations. Les érudits partisans d'un faux ne sont pas objectifs et leurs démonstrations sont contredites par d'autres experts en linguistique.